King Mensah : « Il ne suffit pas d’obtenir de bonnes notes à l’école »

Article : King Mensah : « Il ne suffit pas d’obtenir de bonnes notes à l’école »
Crédit: King Mensah
2 juillet 2023

King Mensah : « Il ne suffit pas d’obtenir de bonnes notes à l’école »

King Mensah exprime sa vision de l’école, partage ses réflexions sur l’identité culturelle et aborde les défis rencontrés au cours de sa carrière musicale. Avec sa prose et ses idées percutantes, l’artiste incarne la voix d’une génération déterminée à préserver l’héritage culturel tout en recherchant l’authenticité musicale. Face à une école perçue comme déconnectée de la réalité africaine et une musique qui s’éloigne de ses racines, comment préserver l’authenticité culturelle et assurer la transmission d’un héritage musical riche et unique ? Une invitation à repenser l’éducation et à assurer la relève d’une musique aux racines profondes.

Gilles LAWSON : Votre opinion sur l’école et l’enseignement se veut plutôt critique et constructive. Pourquoi ?

King Mensah : D’emblée, je dirai que l’école telle qu’elle nous est présentée est comparable à un tissu de qualité inférieure et ne nous apporte pas de bénéfices substantiels. Elle n’est pas intrinsèquement mauvaise, car elle permet des découvertes et élargit les horizons de la connaissance. Cependant, elle ne correspond pas à nos réalités ni à nos savoir-faire en Afrique. Elle n’est pas adaptée à notre culture. L’école telle qu’elle est actuellement, devrait être étudiée par les instances dirigeantes les plus élevées afin de décider de ce qui doit être enseigné à nos enfants et de ce qui ne doit pas l’être. Dès la naissance, on devrait apprendre les différentes parties de notre corps et leurs rôles. Ensuite, on devrait se familiariser avec les éléments variés de notre environnement et leur utilisation, comme la natation par exemple. Voilà comment l’école devrait fonctionner. Aujourd’hui, je ne regrette rien de mon parcours scolaire. Malgré le fait que j’ai quitté les bancs très tôt, j’ai fait des découvertes sur moi-même. J’ai travaillé sur ma personnalité, mes talents et mes potentialités.

Gilles LAWSON : Est-ce à dire que vous considérez la vie comme une école ou l’école comme la vie ?

King Mensah : C’est la vie qui est l’école. Comme je le dis souvent, je suis semblable à celui qui a créé l’école. Tout comme moi, il était non instruit. Pour moi, un intellectuel est quelqu’un qui parvient à trouver des solutions à un problème. Un jour, j’en ai discuté avec un politicien qui voulait faire l’éloge de l’école en tant que meilleur chemin. Je lui ai demandé si le parti dont il se revendique membre et dont il est l’un des responsables a été créé par une personne lettrée. Ce n’est pas le cas. Tout a été bâti grâce à son intelligence. Aujourd’hui, c’est ce qui devrait être promu. Il ne suffit pas d’obtenir de bonnes notes à l’école, mais d’être capable de déployer son intelligence et son génie créatif. Même les deux grandes figures qui ont divisé le monde, Jésus et Mahomet, n’ont jamais fréquenté l’école, du moins pas celle que nous connaissons aujourd’hui.

J’insiste et je persiste, l’école n’est pas une mauvaise chose, mais elle doit être repensée pour répondre aux besoins de nos communautés. Au lieu d’être le lieu de création des incapables, elle devrait permettre aux personnes ayant des diplômes dans un domaine de résoudre des problèmes. C’est mon point de vue. Certaines personnalités ont réussi leur vie sans poursuivre de longues études. Un exemple en est Adebayor, qui est aujourd’hui une icône nationale et internationale. L’école devrait être un lieu de promotion de l’individu. Elle devrait servir d’engrais pour favoriser la croissance de l’individu. Cela signifie qu’elle devrait prendre le temps d’étudier chaque individu à aider afin de savoir comment l’accompagner et le propulser vers son plein épanouissement. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’école actuelle ignore tout simplement les potentialités des apprenants au profit d’un système classique dépourvu de créativité. Elle comporte des inutilités qui retardent le progrès scolaire des jeunes. Prenons l’exemple de l’histoire du Togo. Aujourd’hui, les jeunes Togolais sont incapables de parler de leur propre pays, de situer les différentes cultures qui y évoluent, les ressources naturelles dont nous disposons. Ces réalités n’ont même pas besoin d’une étude approfondie pour être connues, et pourtant… Il serait normal qu’un enfant togolais puisse décrire son pays de A à Z, avec des détails précis, en maîtrisant toutes les composantes de sa patrie. C’est ainsi que l’école devrait fonctionner.

Gilles LAWSON : Parlons de l’identité. En tant que Togolais à l’étranger, au-delà de notre identité nationale, qu’est-ce qui caractérise notre culture, notamment dans le domaine de la musique ?

King Mensah : Je vais peut-être choquer, mais cette caractéristique dont vous parlez, propre au Togolais moyen à l’étranger, n’existe pas. Une chose qui devrait également le faire, mais qui est source de honte pour bon nombre de personnes, ce sont nos noms locaux, en plus de nos noms de famille, qui portent une marque, une histoire, un clan, une ethnie et une région. Cela démontre d’où nous venons.

En ce qui concerne la musique togolaise, elle manque de repères. Nous avons des artistes togolais, mais nous n’avons pas véritablement de musique togolaise. Laissez-moi m’expliquer. Ce qui fait l’originalité de la musique togolaise est absent dans tout ce que chantent les artistes togolais aujourd’hui. La musique est une culture, le fruit d’une histoire commune à une communauté. Mais ce n’est pas le cas chez nous. Tout le monde part dans différentes directions, dépourvues d’affirmation culturelle, sans attaches avec le terroir. Cela soulève la question de la responsabilité.

Il faut noter l’importance de l’éducation. Nous constatons aujourd’hui une rupture entre la jeune génération et la génération précédente. Cela explique en partie cette perte de valeur culturelle et de repères. La chance que j’ai eue, c’est d’avoir été bercé dès mon enfance par cette musique traditionnelle. Cela a façonné mon identité musicale et m’a apporté mon lot d’innovation. Ainsi, la musique produite au Togo aujourd’hui est simplement une copie d’ailleurs. J’ai chanté du Kamou, de l’Agbadja et d’autres sonorités de mon pays. L’ignorance à propos de notre pays est à l’origine de ces dérives. C’est à cela que l’école devrait servir, en tant que guide.

Gilles LAWSON : Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées au cours de votre carrière, au point de vouloir abandonner ?

King Mensah : La musique, c’est ma vie. Je lui dois mon existence. J’ai rencontré des difficultés, mais jamais au point de renoncer à cette musique. Ce serait être ingrat envers elle. La musique est mon seul allié dans ma réussite. Certains me demandent parfois si je prendrai ma retraite un jour ? Dans ma culture, on ne peut me qualifier de retraité de mon art que lorsque je serai dans l’incapacité réelle d’exercer ce métier.

Ce que je peux ajouter, c’est que je transforme mes difficultés en force et en motivation pour faire encore mieux.

Gilles LAWSON : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes artistes ?

King Mensah : Cela dépendra des initiatives culturelles et artistiques de nos autorités. Organisez des concours de chansons basés sur la promotion de nos richesses culturelles dès l’école. Assurez un suivi des lauréats dans leur carrière et bien d’autres choses encore. Trouvez-leur une motivation pour qu’ils s’intéressent véritablement à la culture, l’essence même de l’originalité musicale.

Gilles LAWSON : Comment assurez-vous la relève de cette musique ?

King Mensah : Aujourd’hui, je mets en place un groupe de ballet où j’initie les enfants et les jeunes à la musique traditionnelle et aux arts culturels locaux. C’est ma façon de transmettre à la jeunesse mon expérience et mon savoir-faire, tout en préservant notre héritage culturel.

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