Littérature togolaise : « Malfaisance », une introspection critique des maux qui rongent nos sociétés

Article : Littérature togolaise :  « Malfaisance », une introspection critique des maux qui rongent nos sociétés
Crédit: Malfaisance de Thérèse KAROUE
16 juin 2023

Littérature togolaise : « Malfaisance », une introspection critique des maux qui rongent nos sociétés

 « Malfaisance » est un récit de l’auteure togolaise Thérèse KAROUE-ATCHALL, qui se veut le miroir des tourments qui assaillent nos sociétés actuelles, tout en soulevant les questions qui taraudent l’Afrique contemporaine. Autour de son œuvre, la femme de lettres confie les ressorts secrets de l’élaboration de son personnage principal, Esso, reflet des jeunes en quête d’un avenir meilleur. Cette entrevue nous révèle également les projets littéraires de cette auteure talentueuse aux multiples casquettes, navigant entre l’écriture et l’enseignement.

Propos recueillis par Gilles LAWSON

Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière votre roman « Malfaisance » et des idées qui vous ont motivée à l’écrire ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Le roman « Malfaisance » n’est pas juste né de mon imagination comme tous mes autres romans. Il est né de mes expériences vécues, de mon observation de la vie dans certains milieux, d’histoires vraies qui ont nourri mon enfance, de mon imagination et de certaines recherches que j’ai faites. Je m’étais retrouvée à un moment face à des questions sans réponses, des faits qui minent notre société africaine et qui vont au-delà du visible. C’était comme un besoin urgent pour moi de faire ressortir les thématiques de ce livre pour susciter peut-être des réponses à mes interrogations.

Le personnage principal de votre roman, Esso, fait face à de nombreuses épreuves et malheurs. Pourriez-vous nous parler du processus de création de ce personnage et de son évolution tout au long de l’histoire ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Le personnage Esso représente plusieurs jeunes qui ont des rêves plein la tête, des jeunes qui avaient des chances d’atteindre leurs objectifs dans la vie mais qui n’y arrivent que très rarement. Esso est comme celui qui « tire le diable par la queue », celui qui regarde tout se désagréger autour de lui, sans pouvoir y changer grand-chose. Pour créer ce personnage, j’ai imaginé un jeune homme altruiste, intelligent, bienveillant… mais qui ne réussit pas à atteindre ses objectifs dans la vie. Pour dire que la vie ne donne pas toujours ce que l’on veut même lorsqu’on a les meilleures intentions du monde ! L’entourage peut constituer un frein à l’évolution d’une personne. Et des personnes comme Esso, j’en ai rencontré.

« Malfaisance » aborde des thèmes tels que l’ignorance, la méchanceté, la superstition et la sorcellerie. Quelle est votre intention en explorant ces sujets et quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : La méchanceté a conduit à la sorcellerie et vice-versa dans ce roman. Mais l’idée principale véhiculée à travers ces thèmes est de montrer combien il est parfois difficile de bien connaître notre entourage, et même les membres de notre famille. Plus les gens sont plus proches de nous par des liens de sang, plus c’est facile pour eux de nous faire du mal d’une manière ou d’une autre. La famille de Esso a été décimée par un membre en qui ils avaient tous confiance parce qu’il était des leurs.

Votre roman met en évidence la psychologie complexe des personnages, qui sont confrontés à des situations qui les dépassent. Pourriez-vous nous parler de votre approche pour développer ces personnages et comment vous avez réussi à susciter l’émotion chez les lecteurs ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : L’émotion chez les lecteurs est surtout due aux drames vécus par la famille de Esso. Des morts sans raison apparentes, des maladies inexpliquées … J’ai crée des personnages qui endurent, qui supportent qui parfois font face avec impuissance à la mort. Dans une famille, il y a des gens qui sont plus résilients que d’autres, plus forts que d’autres, plus gentils ou méchants que d’autres. Toute cette panoplie de personnages se retrouve dans cette famille pour montrer toute forme de personnage qu’on peut y retrouver, surtout en Afrique. Même si les drames familiaux sont poussés à leur paroxysme dans ce roman, il est assez démonstratif de certaines réalités familiales dans certaines de nos cultures. Ce n’est pas un cas isolé, non.

Le contexte familial joue un rôle central dans « Malfaisance ». Pourquoi avez-vous choisi de mettre en lumière les dynamiques familiales et comment celles-ci contribuent-elles à la trame narrative de votre roman ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Toute notre vie se joue dans la famille où nous naissons. Nos réussites, nos échecs, nos comportements. Bref, nous tenons forcément du lieu ou nous sommes nés et avons grandi. Dans ce roman, tous les problèmes sont nés d’une faute commise par la mère de famille. Il aurait fallu qu’elle agisse autrement pour que tout ce qui s’est passé n’ait pas existé. C’est pour montrer aussi le poids que peuvent représenter les erreurs d’une femme. Comme si elle n’avait pas le droit d’en commettre. Ses erreurs retombent le plus souvent sur la tête de ses enfants et ça aussi, j’en ai vu beaucoup. Pourquoi, les enfants doivent-ils porter le fardeau de leurs mères ? Probablement, ce cordon ne se coupe jamais, la relation mère-enfant est plus forte que tout.

Comment percevez-vous la littérature togolaise contemporaine et quelle est votre vision en tant qu’écrivaine togolaise ? Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontée en tant qu’auteure dans le paysage littéraire actuel ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Le paysage littéraire togolais foisonne de bons auteurs. Depuis une dizaine d’années, il y a une explosion de talents littéraires au Togo. Je m’en réjouis beaucoup car cela démontre d’une part que le niveau intellectuel des togolais est assez élevé et d’autres part qu’il y a un réel plaisir de s’exprimer.

Quels sont les retours que vous avez reçus de la part des lecteurs et de la communauté littéraire depuis la publication de « Malfaisance » ? Comment ces réactions ont-elles influencé votre parcours d’écrivaine ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Les retours sont plutôt satisfaisants, à mon sens. D’abord, parce qu’ils relèvent le côté effrayant du livre, ils font cas de la réalité que décrit ce livre et surtout de la profondeur de la description qui est faite. Ils soulèvent aussi des questionnements, ceux-là même qui me trottinaient dans la tête pendant que je l’écrivais « Doit-on avoir peur d’aller dans son village ? », « Comment éviter d’être assassiné par les sorciers du village », « Comment allons-nous développer notre continent si les sorciers nous empêchent de réaliser dans nos villages d’origine ? » Des questions qui méritent réflexions et surtout des réponses que je n’ai forcément pas.

En tant qu’enseignante à l’Université de Lomé, comment conciliez-vous votre carrière d’écrivaine avec vos responsabilités académiques ? Dans quelle mesure ces deux domaines se nourrissent-ils mutuellement ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : Mon métier me permet d’être à l’abri du besoin et l’écriture, une passion. Bien que cela m’occupe assez d’enseigner et de faire d’autres activités, je trouve toujours du temps, entre une, deux occupations, d’écrire. Comme pour dire qu’on a toujours du temps quand il s’agit de sa passion.

Outre Malfaisance, vous avez à votre bibliographie « la saison des amours », « Passion avortée » ou encore « Le secret ». Quels sont vos projets futurs en tant qu’écrivaine ? Avez-vous d’autres romans en préparation ou des thématiques que vous souhaitez explorer en dehors de celles déjà développées dans vos précédentes œuvres ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : J’ai d’autres projets en cours. Des romans à terminer, d’autres déjà achevés. Mais je me donne le temps de proposer quelque chose meilleur que ce que j’ai déjà publié. Alors, ça prendra un peu de temps avant qu’un autre roman ne paraisse. J’y explorerai toujours des faits humains et sociétaux.

Enfin, quel conseil donneriez-vous aux jeunes auteurs togolais ou africains qui aspirent à faire carrière dans le domaine de l’écriture ?

Thérèse KAROUE-ATCHALL : En Afrique surtout, l’écriture ne nourrit pas son homme. Déjà, les éditeurs publient généralement à compte d’auteur. Alors, l’auteur doit débourser pour se faire publier. Toutefois, on ne peut taire son inspiration parce qu’on n’a pas d’argent ; il faut juste comprendre qu’on doit avoir une source de revenus qui nous donnera les moyens de publier nos écrits. On peut emmagasiner dix, vingt, bref autant d’écrits que l’on voudra, en attendant d’avoir les moyens de les publier, cela n’enlèvera en rien leur valeur, au contraire, ça permettra de les relire, de retravailler, ça leur donnera le temps de macérer pour qu’à leur sortie, ils soient bien accueillis.


Biographie de l’auteure

De nationalité togolaise, Thérèse KAROUE-ATCHALL (De son vrai nom Essohanam KAROUE) est Docteur en linguistique générale et diplômé en études internationales.  Enseignante aux Universités de Lomé et de Kara, elle est également Conseillère en soutien aux volontaires de Carrefour International, une ONG canadienne au Togo. Auteure de fictions, elle sort en 2015 son premier roman La saison des amours qui remporte le prix littéraire France-Togo en 2016. En 2017 et 2018, elle sort respectivement les romans Passion avorté et Secrets (Prix KMN 2021)puis Malfaisance en 2022. En 2022, elle crée l’application “Lingwa” qui permet d’apprendre la langue kabiyè et plus tard, d’autres langues du Togo. Thérèse KAROUE-ATCHALL à ce jour, la Trésorière Générale de l’Association des Ecrivains du Togo (AET), membre du Nimble Feathers, membre du club Le Littéraire et présidente de l’association Nid d’Ora et Labora du  Togo.

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