Kaporal Wisdom : le slameur qui s’engage en politique

Article : Kaporal Wisdom : le slameur qui s’engage en politique
Crédit: Kaporal Wisdom
18 avril 2024

Kaporal Wisdom : le slameur qui s’engage en politique

Par Gilles LAWSON

Figure emblématique du slam au Togo, Kaporal Wisdom, de son vrai nom Kounkey Ekue Hola Wisdom, annonce un nouveau virage dans sa carrière en se lançant dans la politique. L’artiste, connu pour ses textes engagés et percutants, entend briguer un mandat lors des prochaines élections régionales et législatives. Est-ce une reconversion professionnelle nécessaire pour l’artiste ? Ou bien une opportunité à saisir pour faire avancer ses idées et ses convictions ? Eléments de réponse dans cette interview.

Pourquoi entrer en politique ? 

Kaporal Wisdom : Depuis un laps de temps considérable, je me suis tenu fermement dans la perspective de ne pas m’immiscer dans les affaires politiques. Cependant, cette position m’a conduit à réaliser que s’abstenir de la politique revient à participer à une politique défaillante. Chaque citoyen, et particulièrement chaque jeune Togolais aujourd’hui, semble considérer que la sphère politique ne le concerne pas directement. Nous laissons souvent les individus plus âgés exercer le pouvoir politique et prendre des décisions à notre place, sans réellement comprendre notre réalité, sans nous impliquer pleinement. Cette attitude me semble intolérable. Il est inconcevable de penser à la place d’une personne âgée, de penser qu’il est justifié de prendre la vie de quelqu’un pour un simple téléphone, par exemple. Pourtant, nous, les jeunes, sommes confrontés à cette réalité, une réalité tangible sur le terrain.

L’adage bien connu affirme que « tout ce qui est fait pour la jeunesse, sans la participation de la jeunesse, est en opposition avec les intérêts de la jeunesse ». Cette pensée m’a incité à devenir le porte-parole et le représentant de la jeunesse, afin d’être présent lors des prises de décision, car il est injuste que nous subissions des décisions prises en notre absence, sans pouvoir exprimer notre point de vue, nos opinions, nos propositions, nos idées.

Actuellement, la population togolaise est majoritairement jeune. Cependant, si nous, les jeunes, délaissions la politique aujourd’hui, les générations plus âgées sont en train de partir. Quand elles ne seront plus là, qui prendra la relève alors que nous n’aurons pas eu l’opportunité d’apprendre auprès d’eux comment gérer les affaires de nos communautés ? La grandeur ne se construit pas en un jour, elle se façonne chaque jour. Pour ma part, cela implique d’apprendre des aînés, de comprendre où ils ont failli, et d’être en mesure de proposer des innovations pour contribuer de manière concrète et positive au développement de notre pays.

Quels sont les axes autour desquels s’articule ton programme ? 

Kaporal Wisdom : Mon projet repose sur le domaine culturel, plus précisément le tourisme qui, de nos jours, représente un pilier économique de première importance pour de nombreux pays. Il est indéniable que des masses considérables de visiteurs se dirigent vers l’île de Gorée et Saint-Louis au Sénégal, animés par le désir de contempler la Maison des Esclaves. Ma propre appartenance à la Commune des Lacs 3, où se dresse la Maison des Esclaves à Agbodrafo, soulève une question : quelle est notre contribution à cette institution, à son rayonnement et à son legs historique ? Il est impératif que nous œuvrions à sa restauration, à sa revitalisation, afin de stimuler davantage le secteur touristique. Car, dès qu’un touriste pose le pied dans un pays, il s’engage inévitablement dans une série d’activités génératrices de revenus : réservation d’hôtel, restauration, transports, achats vestimentaires, et en cas de besoin, recours aux services hospitaliers et aux produits pharmaceutiques. Chacun de ces éléments contribue à l’entrée de devises dans le pays.

À l’exemple du Brésil, où la culture sportive rayonne, ou encore du Nigéria et de la Côte d’Ivoire qui illustrent de manière tangible les retombées positives de la culture et du sport, nous pouvons puiser des enseignements précieux. C’est sur la base de ces réalités que j’ai puisé l’inspiration pour élaborer un programme culturel novateur. 

En quoi tes compétences d’artiste et d’entrepreneur culturel seront-elles utiles dans le déploiement de ton programme politique ? 

Kaporal Wisdom : Après vingt années d’engagement dans ces sphères professionnelles, j’ai eu l’occasion de côtoyer maints écueils, qui m’ont octroyé une connaissance aigüe des terrains où l’échec ne saurait se réitérer. J’ose désormais affubler ces échecs du terme plus noble d’expériences. Parallèlement, je discerne ce qui, en matière de projets, est destiné à demeurer stérile et ce qui, en revanche, est voué à fructifier.

En qualité de membre du conseil d’administration du Bureau Togolais des Droits d’Auteur (BUTODRA), j’ai acquis une appréciation de la vie des artistes et des complexités auxquelles ils se heurtent pour subsister de leur art. Ma mission première réside dans l’aspiration à ce que chaque artiste puisse jouir dignement de son art, du moins au sein de la communauté que je m’apprête à représenter.

Quels sont les défis face auxquels vous êtes confrontés dans votre localité ? 

Kaporal Wisdom : Une multitude. En considérant spécifiquement la Commune des Lacs 3, à l’exception de l’ancien OTP, désormais connu sous le nom de la Société Nouvelle des Phosphates du Togo, les jeunes font face à un taux de chômage considérable. Soit ces jeunes s’adonnent à la vente d’essence frelatée, soit ils se tournent vers les travaux agricoles, qui, par ailleurs, ne rapportent plus suffisamment, de même que l’activité de la pêche. Il convient d’examiner de quelle manière il serait possible, avec ces jeunes, de créer des sources de revenus afin de réduire le taux de criminalité. Car lorsque les parents manquent de ressources et que les enfants sont contraints d’abandonner leurs études pour devenir parents dès l’âge de 14 ou 15 ans, des problèmes sous-jacents persistent (tels que la famine et la pauvreté), impactant la vie socio-culturelle de ces jeunes. Tant que des opportunités de génération de revenus seront disponibles, les jeunes seront suffisamment occupés pour éviter de s’engager dans des activités préjudiciables à leur bien-être.

Quelle est ta vision de la décentralisation ? 

Kaporal Wisdom : La décentralisation octroie aux communautés le pouvoir de s’autodévelopper et de prendre en charge leurs propres destinées. Je suis persuadé qu’embrasser la dernière phase de ce processus, à savoir les régions, constitue une initiative des plus louables. De nos jours, bon nombre de personnes s’interrogent sur les actions de leurs édiles municipaux sans jamais se soucier des attributions qui leur incombent ainsi qu’à leur administration. À titre d’exemple, il faut souligner que la municipalité n’a pas vocation à intervenir dans les établissements d’enseignement secondaire, mais plutôt dans les structures de petite enfance et les écoles primaires. Il revient donc aux régions et à leurs conseillers régionaux d’assumer la responsabilité des collèges, des lycées et des centres de formation professionnelle. En ce qui concerne l’assainissement, par exemple, la compétence de la commune se limite à la collecte des déchets, sans qu’elle ne puisse se charger de leur traitement, de leur tri ou de leur recyclage. Cette délimitation des attributions municipales est complétée par celles de la région, et cette complémentarité favorisera l’évolution de toutes les sphères, de la base au sommet. Ainsi, chaque commune pourra s’épanouir de manière autonome. 

Parle-nous du parti politique dont tu portes la bannière ?

Kaporal Wisdom : Je représente le Bloc Alternatif Togolais pour l’Innovation Républicaine, ou BATIR. Notre approche se fonde sur la conviction que l’implication active des citoyens est essentielle à la réussite de tout projet de développement durable. L’exemple du sable illustre parfaitement ce principe. Trop souvent, lorsque l’État fournit des matériaux de construction pour des infrastructures publiques, certains individus s’approprient indûment ces ressources pour leurs propres besoins personnels. En revanche, si chaque membre de la communauté contribue à l’acquisition de ces matériaux, une conscience collective se crée autour de la valeur de l’infrastructure et de la responsabilité partagée de sa préservation. C’est précisément cette appropriation collective du développement que BATIR vise à promouvoir.

Quelle est la place que tu accordes à la technologie au service des communautés ? 

Kaporal Wisdom : Les outils technologiques offrent un potentiel considérable pour le renforcement des capacités et des compétences au sein de nos communautés. Les réseaux sociaux, en particulier, constituent des plateformes puissantes pour la communication et la diffusion d’informations, notamment en ce qui concerne les produits et services locaux.

En tant qu’acteur issu d’une commune à dominante agricole, je suis témoin direct de l’impact positif que la digitalisation peut avoir sur les activités agricoles, d’élevage et de pisciculture. Prenons l’exemple d’un agriculteur disposant de 50 hectares de maïs récolté, en quête de débouchés commerciaux. Grâce aux outils numériques, il peut aisément communiquer sur sa production et toucher un large public de potentiels clients via des plateformes dédiées. De même, un consommateur à la recherche de produits frais peut facilement identifier et se procurer ces denrées auprès du producteur, ce qui favorise un circuit court et bénéfique pour tous les acteurs.

L’application de la digitalisation ne se limite pas au secteur agricole. Dans ma commune, de nombreux individus s’adonnent au jardinage. Mon ambition, conformément au proverbe « il vaut mieux apprendre à pêcher que donner du poisson », est de doter ces personnes des compétences nécessaires pour tirer pleinement profit de leurs activités. D’ailleurs, l’omniprésence du numérique, même dans les zones rurales et reculées où les smartphones sont devenus omniprésents, ouvre de nouvelles perspectives pour le développement communautaire dans divers domaines, tels que l’éducation, la santé et bien d’autres encore. Cependant, l’accès aux technologies et leur utilisation efficace ne sont pas toujours évidents pour tous. Il urge de mettre en place des initiatives de sensibilisation et de formation pour garantir que personne ne soit laissé pour compte dans cette transformation digitale.

Quel développement pour une population togolaise en pleine croissance ? 

Kaporal Wisdom : Avec une population atteignant aujourd’hui huit millions d’habitants, notre pays se trouve face à la nécessité d’intensifier ses efforts de développement à la base. Car cette augmentation significative de la population entraîne une demande croissante en ressources, en infrastructures et en opportunités d’emploi. Il est donc crucial, selon moi,  de garantir que tous les citoyens, quelle que soit leur situation géographique ou socio-économique, puissent pleinement participer à l’édification d’un avenir prospère pour notre pays.

Dans cette optique, le renforcement du développement à la base constitue une priorité absolue. Cela implique la mise en œuvre de politiques publiques ciblées visant à améliorer l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable et à l’électricité, en particulier dans les zones rurales et défavorisées. La construction d’écoles et d’hôpitaux modernes, ainsi que l’extension des réseaux électriques et d’adduction d’eau, sont des éléments essentiels de cette stratégie.

Relevant des actions concrètes entreprises par le parti que je représente,soulignons notre engagement à promouvoir le développement socio-économique de toutes les communautés. La construction de marchés et l’équipement des écoles en panneaux solaires illustrent notre détermination à améliorer les conditions de vie des populations locales et à favoriser leur inclusion dans le processus de développement national.

Quelle est l’importance du rôle des femmes pour l’avenir, dans la société et en politique ?

Kaporal Wisdom : Au sommet de la hiérarchie du parti BATIR trône une dame. Nous l’avons compris, le développement s’avère inconcevable sans la contribution des femmes, qui exercent un rôle primordial en tant qu’éducatrices des générations futures et occupent des fonctions de haute responsabilité, tout en veillant sur le foyer.

Tu évoques la construction de maisons de jeunes dans ton programme d’actions. Quels en sont les motifs derrière ? 

Kaporal Wisdom : Dans ma localité, de telles structures associées à des centres dédiés aux loisirs et à la distraction font encore défaut. Une telle infrastructure représente une véritable opportunité pour la conception d’activités distrayantes, éducatives et récréatives, propres à réunir aussi bien la jeunesse que les enfants, afin de prévenir l’oisiveté. Car, lorsque l’on demeure inactif, il advient que l’on se trouve contraint à l’action, et si celle-ci nous est étrangère, elle peut aisément revêtir un caractère néfaste. Ceci, et il en va pour mon avis personnel,  s’inscrit dans le cadre de la décentralisation des manifestations culturelles, telles les grands concerts coutumièrement tenus à Lomé, mais qu’il conviendrait dorénavant de déplacer jusqu’à la préfecture des Lacs. Fort heureusement, ces dernières années, lors des tournées artistiques, une attention est portée également à ladite préfecture, quoique de manière insuffisante, puisque la majorité des concerts se déroulent encore à Lomé. Il nous incombe de remédier à cette situation, notamment dans l’intérêt des artistes locaux, afin qu’ils puissent subsister de leur art, et, par extension, propulser leur carrière en devenant, qui sait, des figures emblématiques de la scène musicale togolaise.

Quel bilan après 64 ans d’accession à la souveraineté nationale ?

Kaporal Wisdom : Écoutez ! Je suis en perpétuelle quête de satisfaction, et il convient de noter qu’il demeure encore un large champ à explorer, malgré les avancées déjà accomplies. Affirmer que tout est acquis reviendrait à se confiner dans un statu quo évolutif. Cependant, je ne suis point de ceux qui prônent la comparaison du Togo à telle ou telle autre nation, arguant des comportements ou des réalisations, car chaque territoire possède ses propres spécificités, façonnées par une histoire singulière. Nous ne sommes pas en compétition avec d’autres, mais plutôt avec notre propre passé ; nous devons scruter l’évolution du Togo depuis hier jusqu’à aujourd’hui. Le Togo trace sa trajectoire de développement, et il est certain que nous pouvons surpasser ce qui a déjà été accompli jusqu’à présent.

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