L’IA dans l’éducation au Togo : le regard de l’écrivain Ayi Renaud Dossavi

Article : L’IA dans l’éducation au Togo : le regard de l’écrivain Ayi Renaud Dossavi
Crédit: Ayi Renaud DOSSAVI
28 avril 2023

L’IA dans l’éducation au Togo : le regard de l’écrivain Ayi Renaud Dossavi

Le développement de l’Intelligence Artificielle dans les domaines de l’éducation et de l’enseignement est un sujet d’actualité brûlant. Au Togo, de nombreux établissements scolaires peuvent explorer les possibilités offertes par cette technologie novatrice dans le cadre de l’évaluation des élèves, notamment à travers les devoirs et examens. Dans ce contexte, l’écrivain togolais Ayi Renaud DOSSAVI partage son point de vue sur l’impact de l’IA sur la formation scolaire togolaise. 

Propos recueillis par Gilles LAWSON

Comment voyez-vous la place de l’Intelligence Artificielle dans l’éducation togolaise aujourd’hui ? 

Renaud Dossavi : On peut d’ores et déjà affirmer que le potentiel est considérable. Vu la vitesse phénoménale à laquelle les transformations se reproduisent dans le secteur de l’IA, il n’est pas absurde d’affirmer que dans quelques années, pour ne pas dire quelques mois, on aura des « bots enseignants » partout dans les écoles.

Crédit : Google images

Bien sûr, le défi sera la vitesse d’absorption, la pesanteur bureaucratique dans l’adoption d’une technologie encore nouvelle chez nous sur le continent, et les lenteurs dans l’identification de ce nouvel outil, qui peut très radicalement changer le rapport qu’on a à la manipulation du savoir et de l’information.

Il est donc encore (trop) tôt pour parler d’une transformation du système éducatif chez nous, mais le plus tôt sera le mieux.

Pensez-vous que l’IA peut aider à résoudre certains des problèmes actuels de l’éducation au Togo ? 

Le potentiel est immense. Par exemple, une combinaison de l’IA et de la téléphonie mobile peut débloquer des capacités de formation assez inédites, tout comme la formation des formateurs.

Cependant, la faiblesse du parc informatique chez nous peut rendre tout cela encore utopique. Mais une révolution est en marche.

Craignez-vous que l’utilisation de l’IA dans l’éducation ne permette pas une véritable évaluation des compétences et du potentiel des élèves ? 

Effectivement, l’un des défis de l’IA, avec par exemple ChatGPT, c’est le fait que tout le monde, ou presque, peut faire croire qu’il est compétent, qu’il sait de quoi il parle, ou qu’il sait écrire tout court (il suffit d’un ou deux prompts pour produire un essai, dont on peut aisément calibrer le niveau de complexité). 

Quel sens cela a-t-il même d’avoir des “compétences”, quand un outil informatique peut faire le même travail 10 fois plus vite sur les taches routinières ? Il y a toute une redéfinition quasi-anthropologique et axiologique du “fait travail” et de la valeur du “travail humain” qui s’impose à moyen terme. 

Crédit : Le Messager

L’IA pose des défis majeurs en termes de valeur de la compétence, et de leur hiérarchisation. Le problème est vaste, complexe et transversal, et il y a des niveaux d’imprévisibilité tellement grands qu’il est impossible, à mon avis, d’anticiper ou même de faire des prédictions raisonnables sur ce que sera le monde du travail suite au passage de l’IA. Nous ne sommes pas tout à fait dans l’œil du cyclone, mais plutôt au début de la tempête technologique. Il faudra quand même quelques années pour que la société dans son ensemble puisse digérer et assimiler les innovations et les disruptions majeures qu’apporte l’IA. Il en faudra de même pour que le tissu socio-professionnel se recompose en s’adaptant à ce défi.

C’est comme si nous assistions à l’invention de l’imprimerie par Jean Gutenberg, difficile de prédire l’émergence, quelques siècles plus tard, de la révolution protestante et, plus tard, le siècle des Lumières, par simple effet domino. De même, qui aurait pu anticiper que le laser (une technologie considérée comme “inutile” pendant longtemps), devienne incontournable dans le monde moderne, avec des lecteurs de Code barre généralisés? La seule différence, c’est qu’on sait que l’IA, à terme, va provoquer des révolutions, probablement encore plus profondes, mais surtout imprédictibles.

Au vu de certaines capacités de l’outil, il n’est pas absurde, comme plusieurs observateurs le proposent déjà, d’anticiper une destruction de jusqu’à 80% du tissu des “knowledge worker”, tous ceux qui sont du tertiaire et manipulent l’information.

Crédit : TikTok

Bien sûr, on est encore dans l’espace embrionnaire de cette technologie distruptive, et il faut encore voir comment tout ça va se déployer.

Comment la formation des enseignants peut-elle être repensée pour intégrer l’IA dans leurs pratiques quotidiennes ? 

C’est une refonte profonde du système éducatif qu’il faudra envisager. Il faudra répondre à des questions fondamentales comme : “Pourquoi forme-t-on l’humain moderne ?” “Quelles compétences doit-il avoir pour garder de la pertinence dans un monde numérique qui sera dominé par l’IA ?”

Crédit : IIEP Learning Portal

Des données comme la “pensée critique”, la logique, le sens de la sémantique et de la justesse dans la réflexion seront probablement à privilégier, sur des catégories moins plastiques comme la stricte accumulation des connaissances. Si notre système éducatif, déjà en retard par rapport aux standards mondiaux, ne se repose pas des questions fondamentales sur ses bases profondes et ses objectifs utiles, et sa fonction objective dans un monde dominé par l’IA, on sera dans une crise profonde.

Bien sûr, il y aura des intérêts qui vont imposer le statu quo pendant quelques années, mais la révolution est indubitablement en marche.

Comment la formation des élèves doit-elle être repensée pour leur permettre d’interagir avec les technologies d’IA ? 

Il faudra remettre l’accent sur des compétences comme la pensée critique, la recherche documentaire, les bases de la logique, la culture générale, les mathématiques, le code et la créativité.

Crédit : Africa Tech Schools

L’IA est comme un exosquelette, qui décuple les forces de celui qui le porte. En ce sens, les gens avec des compétences d’élites seront massivement avantagés, comparés à ceux qui ont des compétences moyennes ou médiocres. La flexibilité, l’imagination et la curiosité, couplés à une discipline dans l’application, seront des valeurs sûres pour créer énormément de valeur.

À court terme, des métiers comme ceux de « Prompt-ingénieur » se positionnent comme des champs de création de valeur pour le marché de l’emploi. Il sera également utile de familiariser les jeunes avec les nouveaux outils TIC en général, car l’IA offre des flexibilités considérables, mais il faut être capable de combiner plusieurs outils à faible niveau de complexité, comme un chef d’orchestre, pour créer des produits nouveaux, inattendus.

Crédit : Hello Work

Ceci étant, je reste modeste dans mes propositions, parce que l’évolution de la technologie est encore beaucoup trop rapide pour qu’on fasse des prescriptions de moyen terme.

Ce qu’on peut dire, en tout cas, c’est que les relations interpersonnelles, les compétences « soft-skills » prennent une valeur encore plus grande sur le marché, dans un contexte où beaucoup de métiers purement cognitifs de moyenne ou basse intensité seront potentiellement remplacés par l’IA.

Cela va étonner, mais « savoir se vendre » de personne à personne, et via les réseaux numériques, risque d’être encore plus crucial dans les années à venir.

Dans quelle mesure l’IA peut-elle aider à combler les lacunes en termes de moyens et ressources dans l’éducation togolaise ? 

Les possibilités sont, encore une fois, considérables : cela va d’un meilleur traitement des données personnelles des écoles, à la mise à disposition de bots spécialisés pour appuyer l’enseignement des curricula au niveau local, dans des régions qui n’ont pas forcément accès aux matériels didactiques lourds (type laboratoire, etc.). Il est facile d’engager des simulations d’expériences de laboratoire, des cours personnalisés pour s’adapter aux besoins des apprenants.

L’IA est un outil protéiforme, un couteau suisse dont les expressions dépendent des missions qu’on lui assigne : la limite principale sera l’imagination des autorités en charge de cette potentielle implémentation, et la faible intégration de l’outil informatique dans l’éducation, le reporting et le suivi des données. À court terme, il sera possible d’améliorer de façon considérable, pour les enseignants comme pour les autorités publiques, le suivi de l’évolution individuelle globale des étudiants et des élèves.

Selon vous, quelles sont les limites éthiques et de réglementation liées à l’utilisation de l’IA dans l’éducation ? 

On n’en est encore qu’aux débuts du déploiement d’outils basés sur de grands modèles de langage (Large Language Model, technologie à la base d’outils comme ChatGPT) dans le grand public. La question des données et de la protection de la vie privée des étudiants est le principal obstacle. Certains outils sont déjà disponibles aujourd’hui pour suivre le niveau d’intérêt d’un interlocuteur quant à un sujet (évaluation de la dilatation de pupilles, du temps d’attention, etc.). Ce sont des outils qui posent de sérieux défis dans leur implémentation auprès du grand public.

Il faudra également se poser la question de la place de l’enseignant, dans un système anthropocentré, par définition, et de sa position : sera-t-il à côté de l’IA, devant, ou derrière ?

Comment pensez-vous que l’IA puisse évoluer pour mieux répondre aux besoins de l’éducation togolaise dans les années à venir ?

Notre grand défi, c’est que nous sommes pas, en Afrique, et particulièrement au Togo, aux manettes de la dynamique de l’IA (et ce, de très très loin). Il faudrait dans un premier temps commencer à nous familiariser avec ces outils, produire nos propres bases d’IA, avoir un minimum de connaissances en termes d’IA et de LLM, ainsi que de la veille informationnelle et technologique sur l’évolution de ces outils. Il n’est pas loin le jour où émergeront des outils spécifiquement destinés à l’éducation et la vulgarisation, ce sera une occasion à saisir.

Crédit : Thot Cursus

Ensuite, l’évolution foudroyante de l’IA pose de sérieuses questions sur la résilience de nos systèmes et leur capacité à remettre en cause l’architecture de l’éducation et de la société telle qu’elle est construite aujourd’hui. Pour le dire sans détour, on risque de voir l’école telle qu’elle est aujourd’hui, devenir complètement obsolète, dans un contexte où 80% des emplois pourraient devenir obsolètes, avec des fonctions qui peuvent être simulées, mais plus efficacement et plus rapidement gérées, par l’IA.

Pour moi, le problème est donc complexe. En même temps qu’il faut suivre assidûment l’évolution de l’IA, se positionner sur de nouveaux créneaux qui apporteront un plus et des avantages compétitifs, tant dans l’éducation que dans l’entrepreneuriat, par exemple…il faut aussi garder à l’esprit, à plus grande échelle, que l’humanité pourrait tout aussi bien être en train de scier la branche civilisationnelle sur laquelle elle est assise. Il serait irresponsable, à mon sens, de ne pas le mentionner.

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