Madame Mélissa Dogbé et l’engagement pour la santé sexuelle des femmes togolaises

Article : Madame Mélissa Dogbé et l’engagement pour la santé sexuelle des femmes togolaises
Crédit: Mélissa Dogbé
26 avril 2023

Madame Mélissa Dogbé et l’engagement pour la santé sexuelle des femmes togolaises

À l’occasion de la célébration du 63e anniversaire de l’accession du Togo à l’indépendance, nous avons eu l’honneur de rencontrer Méllisa Dogbé, responsable de coordination d’une organisation de la société civile œuvrant pour l’amélioration de la santé sexuelle et reproductive des femmes.

Forte de sa formation en sciences infirmières et obstétricales ainsi que de son diplôme de master en santé de la reproduction, elle a livré son point de vue sur l’impérieuse nécessité de la SSR pour les femmes et les filles résidant dans les pays en développement.

Propos recueillis par Gilles LAWSON

Madame DOGBE, parlez-nous de votre parcours académique et professionnel

Si on commence par le commencement, j’ai eu un BAC D. Ensuite, après une année plus ou moins sabbatique à la Faculté Des Sciences de l’Université de Lomé, j’ai été admise sur concours à l’Ecole Nationale de Sage-Femme de Lomé en 2013. J’obtiens donc ma licence en science infirmière et obstétricale ou le diplôme de sage-femme si vous voulez. J’ai alors travaillé à l’hôpital de Bè, ensuite dans une clinique privée puis à SOS Village d’enfants Lomé sur un projet.

Crédit Photo : Mélissa Dogbé

En 2019, je décroche une bourse de l’Union Africaine pour aller poursuivre un Master en Santé de la reproduction dans l’une des 4 universités panafricaines (PAULESI à Ibadan au Nigéria). Master donc obtenu en 2021. Je détiens également un certificat de spécialisation en droit en santé sexuelle et reproductive obtenu à l’Institut Régional de Santé Publique de Ouidah, Benin.

Crédit : Mélissa Dogbé

Aujourd’hui, je travaille comme coordonnatrice dans une organisation de la société civile dont le projet phare est la plateforme E-Convivial qui est une application mobile et web en e-santé qui vise à améliorer l’accès aux informations et aux services de soins en matière de SSR et pour les adolescents, les jeunes, les femmes et les populations vulnérables.

Expliquez-nous l’importance de la santé sexuelle et reproductive pour les femmes et les filles, en particulier dans les pays en développement

La santé sexuelle et reproductive (SSR) des femmes et des filles est d’abord étroitement liée à leur santé globale et leur bien-être physique, mental et social. Cela voudrait dire que lorsqu’elle n’est pas maintenue, elle entraine automatiquement des conséquences sur ces différents aspects de leur vie. Des filles et femmes affectées par des problèmes de SSR ne peuvent pas par exemple aller à l’école, mener des activités professionnelles, contribuer au développement de leurs familles et communautés. Et c’est d’ailleurs l’un des principaux freins à l’avancement dans nos pays.

Comment les problèmes de santé sexuelle et reproductive affectent-ils les communautés les plus vulnérables, telles que les jeunes filles et les femmes issues de milieux défavorisés ?

Alors quand on parle de SSR, des droits fondamentaux y sont inclus. Et donc les problèmes liés à la SSR ne sont pas que des problèmes d’ordre clinique comme par exemples les IST, les dysfonctionnements liées à la menstruation/grossesse, les cancers gynécologiques, etc. Il faut également tenir compte des mariages forcés et précoces, des mutilation génitales, des violences basées sur le genre etc. Ce sont des facteurs qui limitent ainsi l’accès des jeunes filles et femmes surtout de ces milieux défavorisés, aux opportunités et entravent leur développement social et économique.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels sont confrontées les femmes en matière de santé sexuelle et reproductive ?

Les principaux défis auxquels sont confrontées les femmes en matière de santé sexuelle et reproductive sont notamment :

  • L’accès limité à l’information et aux soins de santé de santé sexuelle et reproductive de qualité 
  • Les complications liées à la grossesse ; la preuve, les statistiques concernant les décès maternel sont effrayantes
  • Les infections sexuellement transmissibles, les femmes sont les plus à risque
  • Les violences et inégalités basées sur le genre
  • Les mutilations génitales
  • L’absence d’autonomie en ce qui concerne leur corps, leur santé sous le poids bien-sûr des normes socio-culturelles.

Pouvez-vous nous éclairer sur la situation actuelle de la contraception dans les pays en développement ?

La contraception est une composante de la SSR et est d’ailleurs considérée comme un soin de santé car elle améliore considérablement la santé des femmes et contribue à la réduction de la pauvreté dans les pays en voie de développement. Malheureusement c’est l’un des services les moins utilisés pour diverses raisons tels que : la méconnaissance des méthodes existants, les barrières financières, la mauvaise qualité des services, et surtout les normes sociales restrictives.

La contraception est donc devenue une priorité dans les politiques de santé des pays en développement.

De plus en plus d’actions sont menées pour augmenter le nombre d’utilisateurs de méthodes contraceptives, avec une forte implication des hommes, leader d’opinion et religieux. Au Togo avec un indice synthétique de fécondité à 4,6, seulement 23,2% des femmes sont sous contraception. Cela montre clairement une insuffisance que l’on remarque dans la plupart des pays pauvres et appelle les gouvernements à prendre des engagements en faveur de la planification familiale dans leurs pays.

Comment travaillez-vous avec les communautés locales pour améliorer la santé sexuelle et reproductive des femmes ?

Essentiellement à travers l’information afin de créer la demande. Parfois les communautés disposent des services mais par manque d’information n’en font pas usage. Mon rôle souvent est de les informer. En dehors de cela, je fais une analyse des différents facteurs impliqués, propres à ces communautés afin de trouver des solutions qui leur sont adaptées. J’offre également les services au besoin.

Crédit : Mélissa Dogbé

Quel rôle jouent la culture et les traditions dans la santé sexuelle et reproductive des femmes ?

La culture et la tradition jouent un rôle important dans la SSR des femmes car c’est de là que proviennent les attitudes, croyances et comportement vis-à-vis de la manière dont les femmes perçoivent leur sexualité. Ces deux facteurs ont généralement des impacts négatifs sur la SSR des femmes.

Prenons l’exemple des mutilations génitales. Ce sont des pratiques partant de la culture et des traditions. Les gardiens de ces traditions vous donneront les bienfaits de cet acte, et pourtant ce sont des violences qu’on fait subir aux filles et aux femmes. Des violences qui leur causent des dommages physiques que psychologiques. Certaines de ces traditions limitent l’accès des filles et femmes à l’information sur la sexualité et la reproduction, les incitant à avoir honte ou à se sentir coupables de leurs désirs et de leurs besoins.

Cependant on retrouvera de rares traditions qui promeuvent les bonnes pratiques en matière de SSR pour le bien être de leurs filles et femmes.

Comment encourager les femmes à prendre en charge leur propre santé sexuelle et reproductive, malgré les obstacles socioculturels et économiques ?

À travers :

  • L’éducation et une forte sensibilisation : si elles sont conscientes de leurs besoins et comprennent les enjeux, elles peuvent prendre des décisions éclairées.
  •  La disponibilisation des services : il faut rendre ces services disponibles dans les communautés de ces femmes, cela les rassure et les encourage.
  • L’autonomisation économique ou financière : parce que c’est une grande barrière. Il est difficile à une femme de prendre des décisions pour sa propre santé et se prendre en charge si elle n’a pas moyen de payer pour.
  • Travailler sur les changements de comportement et impliquer fortement les communautés.

De quels types de ressources les femmes ont-elles besoin pour accéder à des soins de santé sexuelle et reproductive de qualité ?

Pour accéder à des soins de santé sexuelle et reproductive de qualité, les femmes ont d’abord besoin d’avoir les bonnes informations. Ensuite, je dirai du personnel de qualité pouvant leur assurer cette qualité des services, de la confidentialité et le respect de leur vie privée. Il faut également que le coût de ces services soit compatible à leur pouvoir d’achat, les programmes de soutien peuvent être très utiles.

Comment les gouvernements peuvent-ils contribuer à améliorer la santé sexuelle et reproductive des femmes, en particulier dans les pays en développement ?

Former et déployer des prestataires de qualité, doter les communautés de centre de santé équipé selon le niveau et initier des programmes de soutien impliquant les communautés elle-même pour que cela soit durable.

Pouvez-vous nous parler de votre engagement pour les droits des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive ?

Je crois fortement que l’information est l’un des meilleurs moyens de permettre aux femmes et filles de connaitre leur droit et d’en jouir proprement. Et donc je ne cesse d’informer à travers des moyens aussi simples que les discussions. Ma cible n’est pas que les femmes mais aussi toutes les autres parties prenantes surtout les autorités locales et religieuses.

Crédit : Mélissa Dogbé

Et quand l’occasion m’est donnée, je participe à des rencontres avec les différents acteurs impliqués dans les DSSR des femmes et filles pour faire des plaidoyers en leur faveur.

Comment les avancées technologiques, telles que la télémédecine, peuvent-elles aider à améliorer la santé sexuelle et reproductive des femmes ?

Quand on considère qu’en Afrique, on a un taux de pénétration de la téléphonie mobile à plus de 44% (2018) on peut considérer cela comme un atout majeur à exploiter. Faire usage de ces avancées technologiques permettrait de toucher facilement les femmes et ceci à grande portée. Parce que dans chaque ménage on retrouve au moins un téléphone portable connectés à internet ou non. Et il y des technologies qui n’ont pas forcement d’une connectivité à internet.

Les problèmes liés à l’accessibilité géographique et au coût du transport peuvent donc être supprimés si la femme peut être prise en charge à distance. Mais attention il faut essentiellement faire une étude du terrain pour ressortir ce qui est adapté à chaque communauté.

Les applications mobiles et web par exemple pourraient ne pas être adaptés à certaines cible et communautés et donc il faut vraiment en tenir compte

Comment recommanderiez-vous aux jeunes filles d’aborder la question de la santé sexuelle et reproductive avec leur famille et leur communauté ?

Elles peuvent déjà commencer à en discuter avec une personne de confiance, qui peut être la sœur, le frère, la mère ou même un pair dans la communauté. Le tout est ne pas toute suite se dire qu’elles possèdent toutes les informations et aller le leur imposer. Il est important d’user d’une approche simple et d’éviter des conflits générationnels. Parce que c’est dans les familles et communautés qu’on rencontre les gardiens de ces cultures et traditions dont on avait parlé plus haut.

En temps normal c’est aux parents, en tout cas aux adultes, d’aborder en premier ces sujets avec les jeunes et pas seulement les filles pour les mettre en confiance et leur apprendre tout ce qu’il faut savoir à ce jeune âge concernant la sexualité. Les prestataires de santé peuvent d’ailleurs donner des orientations à ces adultes pour faciliter les échanges.

Comment les organisations non gouvernementales peuvent-elles aider les femmes à accéder à des soins de santé sexuelle et reproductive de qualité ?

Développer des projets communautaires et surtout soutenir les efforts du gouvernement. Parce qu’au fond leur rôle n’est pas de substituer l’Etat, mais plutôt lui apporter un soutien et d’être complémentaire. Malheureusement dans nos milieux, ces deux entités ont du mal à travailler collaboration ; Et c’est pour cela que plusieurs projets à fort impact s’arrêtent dès que l’ONG part. Il faut donc revoir cet aspect de collaboration afin que les populations puissent en bénéficier pleinement et de façon durable.

Crédit : Mélissa Dogbé

Comment les médias peuvent-ils contribuer à l’éducation et à la sensibilisation des femmes à propos de leur santé sexuelle et reproductive ?

Je dirai que les médias devraient se donner pour mission de diffuser les bonnes informations. L’idéal serait que les institutions de SSR gouvernementales et même des ONG puissent former les acteurs de médias sur comment passer des informations vérifiées aux populations. Cela serait très utile parce que si nous prenons l’exemple d’une radio, la bonne information peut passer le matin et déjà dans l’après midi quelqu’un vient passer la mauvaise information parce qu’il suffit de payer pour cela. Donc les médias doivent être formés, c’est seulement comme cela qu’ils pourraient contribuer à cette sensibilisation que nous souhaitons tous.

De quelle manière la religion peut-elle influencer la perception de la santé sexuelle et reproductive chez les femmes ?

La religion, les cultures et traditions fonctionnent de la même façon. Je parlais tantôt des croyances. Un exemple assez pratique par rapport à la contraception : les livres saints disent « allez, multipliez vous et faîtes des nations… ». En santé nous disons que d’abord les femmes peuvent choisir de si elles veulent, quand et combien d’enfants elles veulent et surtout que nous avons des moyens pour qu’elles y parviennent.

Vous voyez le contraste ? Certaines religions sont contre l’avortement, la transfusion sanguine, l’accouchement par césarienne pour ne citer que ces exemples, des décisions qui affectent très négativement la santé des femmes et filles d’autant plus que ces leaders religieux jouissent d’une grande autorité.

C’est pour cela que pour qu’un programme de SSR réussisse, il faut impérativement impliquer les leaders religieux qui peuvent être de grands alliés s’ils sont éduqués, informés sinon on se retrouve rapidement face à un mur.

Pensez-vous que les pays font des progrès significatifs en matière de santé sexuelle et reproductive ?

Il y a bien évidemment les pays développés qui font un excellent travail parce qu’ils ont des politiques de santé beaucoup inclusives et ont surtout les moyens de ces politiques.

Après, pour le reste, les progrès se situent à différents niveaux tels que la disponibilité des lois et services, la gratuité de certains services, le taux de la mortalité maternelle et infantile, etc. Et donc on peut dire que la plupart font des progrès même si les efforts restent insuffisants.

Au Togo par exemple on a des programmes qui assurent la gratuité de certains services ; le programme Wezou par exemple. Il y a également des campagnes d’offre de services qui se font dans des localités cibles etc. Ce sont des progrès non négligeables même si nous avons encore du chemin.

En quoi la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté l’accès des femmes aux soins de santé sexuelle et reproductive ?

Comme toute situation d’urgence elle a créé une diminution voire une rupture dans l’offre des services pour une période plus ou moins longue. La pression économique a rendu les femmes encore plus vulnérables limitant ainsi leur accès aux services de santé. Certaines structures de santé de proximité ont été fermé. Tout cela à contribuer par exemple à l’augmentation de cas de grossesses précoces et non désirés, des violences basés sur le genre etc. C’est le propre des situations d’urgence, et donc la solution serait de se préparer à cela pour éviter le maximum de dégâts.

Comment les femmes peuvent-elles continuer à recevoir des soins de santé sexuelle et reproductive pendant les périodes de confinement et de distanciation sociale ?

Grâce aux avancées technologiques (approvisionnement de médicament par drone par exemple), la télémédecine et surtout une politique de gestion de ces situations d’urgence.

Comment évaluez-vous l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les droits et la santé sexuelle et reproductive des femmes à long terme ?

L’impact est déjà visible, et à petits pas, les pays essaient de rattraper le retard. Si aucune autre pandémie ne survient, on pourra s’en sortir.

Comment les droits et la santé sexuelle et reproductive des femmes peuvent-ils être inclus dans l’agenda mondial du développement durable ?

Il faut que les pays voient les DSSR comme un élément non négligeable dans l’atteinte des ODD et y apporter plus d’intérêt. Les femmes sont des bras valides avec de forts potentiels intellectuels, donc devraient profiter les pays pour atteindre leur développement. Et donc investir dans leurs droits et santé est une excellente initiative. 

Comment encourager les hommes à devenir des défenseurs de la santé sexuelle et reproductive des femmes ?

En les éduquant du plus petit au plus grand sur les enjeux des DSSR dans leurs communautés, pays, etc.

Comment les programmes éducatifs peuvent-ils contribuer à améliorer la santé sexuelle et reproductive des femmes ?

L’éducation aux valeurs de la santé sexuelle doit être intégrée aux programmes éducatifs. Le processus a déjà commencé au Togo mais reste lent, compte tenu de certaines barrières pour la plupart socio-culturelles. Il faut donc plus de plaidoyers pour accélérer les choses.

Enfin, quel est votre message aux femmes et aux filles qui luttent pour l’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive de qualité ?

C’est une cause très noble et cette lutte doit continuer jusqu’à ce que nous obtenions les résultats souhaités. N’hésitons à faire des garçons et des hommes, nos meilleurs alliés en les éduquant sur le sujet.

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