SEKOU Lidao Grâce : une quête de justice et d’égalité ponctuée de moments poignants

Article : SEKOU Lidao Grâce : une quête de justice et d’égalité ponctuée de moments poignants
Crédit: Sekou Lidao Grâce
25 mai 2023

SEKOU Lidao Grâce : une quête de justice et d’égalité ponctuée de moments poignants

Témoin de l’injustice dont sont victimes les femmes et les filles, SEKOU Lidao Halawang Grâce a mené un combat dès ses années lycées, poursuivant son engagement à l’université. Portrait d’un parcours atypique au service d’une cause.

Propos recueillis par Gilles LAWSON


Votre cheminement personnel semble être un précieux roman, mêlant les fils de votre vie à des convictions profondes et à des rencontres marquantes. Pourriez-vous nous décrire la trame de ce récit et partager avec nous les moments les plus poignants qui ont nourri votre quête de justice et d’égalité ?

SEKOU Grâce : J’ai commencé ce combat très tôt sans savoir que cela s’appelait ainsi. Je me suis mise de plain-pied dans ce combat parce que je ne tolère pas l’injustice et l’inégalité dont pouvaient être victimes les femmes et filles autour de moi. Pour la petite histoire, ça a commencé après que j’ai été victime de harcèlement parce que je défendais à l’école une amie qui était rejetée par tous parce qu’elle est tombée enceinte quand nous étions encore en seconde. Personnellement, je ne comprenais pas pourquoi on lui jetait tant de tort alors qu’elle n’était pas seule à faire ce bébé. C’est de cette façon que j’ai commencé par dénoncer les inégalités que j’observais et après le BAC, à l’université, j’ai rencontré d’autres jeunes qui, comme moi, étaient engagés sur le même front. C’est comme ça que j’ai pu rejoindre ces mouvements.

En tant que coordinatrice de campagne au fonds Xoese et étudiante en Genre et inclusion sociale, vous jonglez habilement entre vos rôles multiples. Comment ces différents engagements se complètent-ils et s’enrichissent mutuellement, telles des fleurs éclosant dans un jardin harmonieux ?

SEKOU Grâce : D’abord, j’aimerais souligner le fait que j’aime la diversification et je suis une multipassionnée. Cela fait que ma position de coordinatrice de campagne au fonds Xoese et mon statut d’étudiante en Genre et inclusion sociale s’alternent. Et l’avantage de cette alternance réside dans le fait que j’ai pu en apprendre beaucoup de choses. C’est-à-dire qu’être engagé sur ces deux fronts en alternance permet à la fois une bonne insertion dans le monde du travail et un développement important de mes connaissances et de mes compétences en défense des droits humains, notamment ceux de la gent féminine.

Crédit : LIDAO Grâce

Votre plume est une fenêtre fascinante vers votre univers intérieur. Pouvez-vous nous parler de votre passion pour l’écriture et de la façon dont vous utilisez ce moyen d’expression pour transmettre des messages forts et inspirants ?

SEKOU Grâce : Je pense que ma passion pour la littérature est génétique ou héréditaire. Je descends d’une lignée de passionnés de littérature. Je suis la petite-fille d’un enseignant de littérature, la fille d’un enseignant de littérature et écrivain. J’ai donc hérité de cet amour pour la littérature. Et aussi, parce que mon père a su bien me l’inculquer au travers des exercices et jeux autour de la lecture, en m’offrant des livres et lui-même en lisant. Pour la petite histoire, je me rappelle qu’on lisait ensemble, on prenait chacun le même livre et celui qui finissait en premier offrait un cadeau à l’autre ou une somme, je gagnais souvent et c’était ma petite motivation pour la lecture. C’est de là aussi qu’est née ma passion pour la littérature et pour l’écriture. D’ailleurs, je me définis comme essayiste et je m’exerce sur mon blog. C’est là, le fruit de tant d’années de lecture que j’essaie de mettre en avant. Quand j’y pense bien, ma passion pour la littérature est née aussi du fait qu’elle me permet de découvrir des mondes que je n’aurais à visiter, de sculpter mon imagination, de nourrir ma curiosité, de découvrir la puissance des mots, d’aiguiser mes talents littéraires, d’acquérir la finesse dans l’expression. Grâce à la littérature, j’ai pu approcher les émotions, sans avoir à les subir. Quant à l’écriture comme moyen d’expression, je me reconnais en l’artiste américain BIGI (mon rappeur favori) qui se définissait comme celui qui raconte des histoires pour guérir les maux de son époque. Alors oui, écrire c’est mon arme pour dénoncer les injustices et violences dont je suis témoin dans ma communauté sociale, mettre des mots sur les maux afin d’amener à les soigner. Je n’ai pas de thématique phare, mais je dénonce beaucoup les inégalités dont sont victimes les femmes et les filles.  En bref, je dirai pour ma part que la littérature, c’est comme l’air, elle permet à la raison de respirer le savoir et la sagesse.

Vous vous définissez comme une féministe radicale, une libéraliste qui réclame la liberté pour tous. Cette affirmation audacieuse évoque des images d’océans impétueux et de vents puissants. Pouvez-vous nous expliquer comment vous parvenez à concilier ces deux facettes, en naviguant entre une volonté de changement radical et la nécessité de faire évoluer les mentalités progressivement ?

SEKOU Grâce : Déjà, je pourrais dire que je me définis comme une féministe radicale parce que je crois en l’égalité des sexes pour chaque personne, purement et simplement. Je me définis comme féministe et je n’ai jamais ressenti de réserves à le faire, car je crois tellement en ce que représente le féminisme. Pour moi, la femme doit être tout aussi libre que l’homme au nom de la dignité humaine commune. C’est là qu’émerge aussi ma casquette de libéraliste. En outre, je pourrais dire que cette lutte dans laquelle je me suis engagée n’est pas du tout aisée à mener. Le changement n’est donc pas automatique du jour au lendemain.

Au Parlement togolais. Crédit : LIDAO Grâce

Mais l’immédiat, nous ne cesserons pas de faire entendre notre voix dans l’optique de faire évoluer les mentalités progressivement. J’ai espoir que notre voix et cette volonté des changements radicaux pourront un jour créer un appel à l’action à l’échelle nationale pour que davantage de personnes s’engagent à la fois dans la résolution de cette injustice et inégalité liée au genre. L’une des choses les plus utiles que nous puissions faire à long terme est de nous assurer que les enfants ont des figures masculines aimantes et nourricières ainsi que des figures féminines, et des figures féminines autoritaires et expertes ainsi que des figures masculines. Bref, ma position de féministe radicale et de libéraliste se complètent et se nourrit d’un rêve qui n’est rien d’autre que « Les femmes, soient des défenseurs d’elles-mêmes, qu’elles soient entendues sur les questions qui vous tiennent à cœur. »

Le combat pour l’égalité et la liberté est un voyage parfois semé d’embûches et de défis. Pouvez-vous partager avec nous un moment où vous avez ressenti que votre voix avait un impact significatif, tel un écho vibrant dans les montagnes de l’injustice ?

SEKOU Grâce : En 2021, j’ai obtenu le prix de jeune leader féministe. Ce fut pour moi non seulement une victoire et une fierté, mais surtout un encouragement qui montre que mes efforts et combats ne sont pas vains. Outre cela, en tant que personne qui a accompagné les victimes de VBG, voire ces victimes allées mieux, reprendre du poil de la bête et retrouver la joie de vivre est pour moi la preuve que grâce à notre propre plaidoyer, grâce à notre propre participation, les victimes s’en porteront mieux.

Au-delà de votre engagement dans les droits humains, vous êtes également passionnée de littérature et vous partagez cet amour à travers votre projet de bibliothèque au lycée Avédji. Pouvez-vous nous décrire comment les mots et les histoires peuvent agir comme des clés magiques, ouvrant les portes d’un monde nouveau pour les jeunes esprits assoiffés de savoir ?

SEKOU Grâce : J’ai décidé d’offrir une bibliothèque parce que tout d’abord le besoin s’est fait ressentir. L’écrivain Malcolm X disait que : « L’éducation est notre passeport pour l’avenir, car demain appartient à ceux qui s’y préparent aujourd’hui ». Et au vu de notre société actuelle, et avec notre génération qui lit de moins en moins, la notion de livre ou de bibliothèque qui n’existe presque plus dans nos écoles et dans les lieux d’instruction. Selon moi, il était urgent et impérieux de faire quelque chose. En tant que citoyenne togolaise, c’est ma participation à l’éducation et la préparation de l’avenir de notre pays. J’avoue que ce n’était pas facile. Mais je vous explique comment j’y suis parvenu. J’ai d’abord rédigé le projet. Ensuite, j’ai répondu à un appel d’offre qui m’a permis d’avoir un fond de base. J’ai constitué une équipe de jeunes bénévoles que j’ai coordonnée. Par la suite, j’ai lancé une collecte au travers d’un appel à don sur les différents réseaux sociaux que j’utilise (Facebook, Instagram, Twitter, WhatsApp…). C’est ainsi que nous avons collecté toutes sortes de dons (livres, étagères, marques pages, tableau d’art, peinture, argent…). Cela a servi à installer et aménager la bibliothèque. Cette collecte a duré cinq mois, de juillet à novembre. Bientôt nous serons sur un terrain inconnu avec un nouveau projet de bibliothèque et nous espérons compter sur les lecteurs pour avoir des dons et un soutien.

Crédit : LIDAO Grâce

À travers votre parcours, vous avez collaboré avec diverses associations, telles que Girl’s Motion, ICPD (Initiative Citoyenne pour la Paix et le Développement) et She Impacts. Chacune de ces expériences est une couleur unique dans la palette de votre vie. Pourriez-vous nous parler des nuances et des éclats que ces collaborations ont apportés à votre vision du monde ?

SEKOU Grâce : Mon implication dans ces associations m’a permis d’apprendre un peu plus. Comme action, On a toujours essayé de promouvoir une égalité des droits pour les filles. Il ne faut pas croire que c’était facile. En réalité, Girl’s Motion et She Impacts sont des associations porteuses des revendications des femmes en termes d’égalité des droits. Elles font beaucoup de publications sur les aspects de droit et d’accompagnement. Elles font un boulot formidable, mais qui mérite d’être connu. Ces associations appellent à une marche pour l’égalité et la citoyenneté. Avec ces associations, j’ai compris que les droits et le développement des femmes, ce sont donc aussi des actions concrètes. J’ai beaucoup appris et grandi avec elles, c’est elles qui m’ont formé pour que je puisse me proclamer Militant féministe. Mon pari, avec ces associations qui militent en faveur des Femmes, c’est de créer une nouvelle impulsion.

Parfois, l’adversité peut se dresser comme un sombre orage sur votre chemin. Pouvez-vous nous raconter une situation où vous avez été confrontée à de fortes résistances ou à des oppositions farouches dans votre lutte pour l’égalité des droits ?

SEKOU Grâce : Ma première opposition que j’ai rencontrée est celle qui m’a poussé à continuer, le harcèlement. En tant que femme, défenseur de droits humains et féministe, j’ai souvent fait objet de harcèlement, de rejet, d’injure, d’actes de brutalités, de diffamation. Par exemple, sur Facebook, j’ai une fois réagit en faveur d’une fille musulmane qui était dénigrée dans une publication sur ce réseau tout simplement parce qu’elle refusait de mettre le voile. Suite à ma réaction en faveur de cette fille, j’ai été traité de personne qui encourage la dépravation des mœurs.

Comment avez-vous trouvé la force de persévérer et de poursuivre votre combat, tel un phénix renaissant de ses cendres ?

SEKOU Grâce : Ma force provient des autres, chaque injustice est un encouragement pour moi, chaque victime est une force, car, voyez-vous, si je décidais d’abandonner un jour, c’est moi et ma progéniture qui serait victime de ces violences. Voyez-vous, il suffit d’un rien pour que tous les droits acquis soient réduits à néant, alors il n’est pas question d’abandonner. Dans tous les cas de difficultés que je citais dans ma réponse précédente, il faut retenir que faire face à celles-ci m’a permis de continuer à dénoncer et à combattre tous les mécanismes inégalitaires qui se fondent sur une différenciation et une hiérarchisation du féminin et du masculin, c’est-à-dire sur le genre. Et ce combat, je compte le mener jusqu’au bout, car la lutte pour l’égalité, ce n’est pas seulement convaincre, ce n’est pas seulement punir les auteurs de harcèlement ou de violences, c’est changer radicalement de rapport au monde, à l’autre, et de valeurs dans la société.

En tant que jeune leader féministe, vous incarnez une voix puissante pour la génération montante. Quels conseils inspirants donneriez-vous aux jeunes femmes et aux jeunes hommes qui aspirent à s’engager pour un monde plus juste et égalitaire, où les différences sont célébrées tels des joyaux uniques au sein d’un kaléidoscope ?

SEKOU Grâce : J’aime dire que “même le ciel n’est plus une limite” parce que l’avion vole dans les cieux et les humains vont sur d’autres planètes. Eh bien, nous pouvons faire tout ce que nous voulons tant que nous n’abandonnons pas et que nous travaillons dur tous les jours. Ainsi, il n’y a rien que vous ne puissiez pas faire si vous y mettez votre esprit et que vous vous battez vraiment dur. Alors si vous sentez un appel pour vous battre pour un monde plus égalitaire alors, foncez, bien évidemment vous ferez face à des défis, difficultés et quelques fois des envies d’abandon, mais rappelez-vous que celui qui ne prend pas parti, prends parti pour l’injustice et comme le dit mon père, que personne ne vous dise que ça sera facile, mais ce n’est pas parce que c’est difficile que c’est impossible. Vous devriez être ambitieux et sans excuse sur ce que vous voulez et aller de l’avant. Vous ne devez pas attendre la permission, acquiescer ou accepter des situations qui dévalorisent la dignité de la personne humaine.

Crédit : LIDAO Grâce

Pour clore cette entrevue en beauté, imaginez-vous comme un personnage littéraire, évoluant dans les pages d’un roman captivant. Comment aimeriez-vous que l’auteur décrive votre héritage, votre impact et votre contribution à la société, en utilisant des métaphores vibrantes et des images poétiques ?

SEKOU Grâce : J’avoue que la question me fait sourire. Comme réponse, je pourrais dire que j’aimerais que l’auteur décrive mon héritage, mon impact et ma contribution à la société en me mettant dans la posture d’une Militante des droits de la femme. Une militante dévouée ayant réalisé un véritable travail de déconstruction des stéréotypes qui ont historiquement accompagné certaines figures féminines et qui ont contribué à nourrir une vision monolithique de la femme, figée dans des rôles rigides et préétablis qui conditionnent encore aujourd’hui le libre chemin de « floraison féminine ». J’aurais aimé être décrite comme cette femme prométhéenne prête à tout pour activer la conscience de tous en faveur des droits humains et pour l’égalité.

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